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Le problème de l'existence du mal

Envoyé par Jean-Paul Debanne le 15/08/2005

« Si Dieu existait, il n'y aurait pas toute cette souffrance !» La tirade est si courante qu'on pourrait presque en faire le refrain d'une chanson populaire. Quant aux couplets correspondants, on n'aurait plus qu'à les formuler et les ordonner de la manière suivante: 1) « Dieu, s'il était vraiment bon et juste, ne tolérerait ni mal, ni souffrance en ce bas monde. 2) D'autre part, s'il était réellement tout-puissant, il pourrait supprimer ces derniers. 3) Mais comme mal et souffrance font partie de notre quotidien, c'est donc la preuve que Dieu n'existe pas; en tout cas, pas un Dieu qui serait en même temps bon, juste et tout-puissant.» Fermez le ban ! Voilà pour l'argumentation: logique implacable, en apparence, et qui se nourrit bien sûr de la multiplication quotidienne d'inégalités criantes, de crimes sans nom, de catastrophes naturelles qui frappent en aveugle, entraînant à leur suite le cortège de misères et d'agonies que servent les médias à tous ceux qui s'en empoisonnent chaque jour à petite dose, s'insensibilisant ainsi contre les effets déprimants de cet élixir de la détresse humaine. Ce qui n'empêche pas les questions classiques de fuser comme des scories, dès lors qu'on tente de témoigner de l'amour de Dieu: Pourquoi tant d'innocents victimes des guerres, famines, terrorisme, rapines et autres viols ? Pourquoi le mal gagne-t-il toujours plus de terrain, jusqu'au sein même de nos familles, et nous meurtrit-il tant lorsque ceux qui nous sont chers tombent sous son emprise ? Pourquoi la charité, la justice et la paix semblent s'être retirées à ce point ? Pourquoi... sinon qu'il n'y a pas de réponse; pas plus que de Dieu... Et voilà comment l'incompréhension devant l'absurdité de la souffrance se mue peu à peu en athéisme cynique. Ce faisant, on juge Dieu comme on le ferait d'un homme, à l'aide de conceptions humaines de la justice et de l'amour. Et paradoxalement, l'homme, lui, on le disculpe, comme s'il n'était point responsable ni doué du libre-arbitre. La question de fond, à laquelle aboutissent les précédentes, devient donc: Est-il crédible de requérir simultanément la condamnation pour Dieu et la relaxe pour l'homme ? À ceux que l'insoluble problème de la douleur humaine tourmente en vérité, sans faux-fuyant; à ceux qui ne s'en servent point d'alibi facile pour s'autojustifier tout en s'empêchant de réfléchir en profondeur à cette énigme de l'existence de Dieu malgré (et sans doute au travers de) la souffrance; à tous ceux-là, je propose de creuser la question dans ce qui suit, en recherchant déjà ce que peuvent bien signifier des notions comme la haine du mal et le pouvoir de l'empêcher lorsqu'elles concernent une entité de la taille de Dieu, et ne peuvent ainsi plus se limiter aux définitions humaines étriquées. Un Dieu mauvais ? Un Dieu à la fois bon, juste et tout-puissant, avons-nous donc dit... Commençons par le premier attribut, à savoir la bonté immuable et inconditionnelle de l'Être suprême, si toutefois l'on admet l'hypothèse de Son existence. Partons de celle-ci, néanmoins, pour les besoins de la démonstration. Cela ne nous empêchera pas, dans la suite du discours, de discuter de sa validité. Si Dieu existait, donc, il serait tentant d'expliquer l'ambiance malsaine et cruelle de notre monde comme n'étant que le reflet de contradictions inhérentes au caractère de ce même Dieu, un peu comme dans la mythologie gréco-romaine, où les conflits humains ne sont que la transposition sur la terre de rivalités entre les divinités. Autrement dit, si le mal et le bien coexistent ici-bas, c'est qu'il en est de même dans la personnalité du Tout-puissant. Cette thèse dualiste n'est pas née d'hier, puisqu'on la retrouve dans la religion perse antique, sans oublier le mysticisme d'extrême-orient, avec ses fameux Yin et Yang enchâssés l'un dans l'autre, des symboles qui ont d'ailleurs beaucoup de succès aujourd'hui. On ne s'en étonnera pas, à une époque où le manichéisme est considéré comme aussi détestable que le racisme ou l'intolérance. La devise à la mode, c'est donc que personne n'est franchement noir ni blanc, mais un peu des deux mélangés: On est censé toujours trouver du bon dans les individus les plus odieux, et réciproquement, les héros modernes sont d'autant plus appréciés qu'ils portent en eux des zones d'ombre et des tares, à l'image du fameux Sherlock Holmes, grand consommateur d'héroïne. Le graphisme du Yin et du Yang est à ce titre très évocateur, avec sa zone blanche entachée d'un point noir, et vice et versa. De là à appliquer ce principe à Dieu, il n'y avait qu'un pas, qu'ont allègrement franchi certains philosophes, tels Fichte ou Hegel, lesquels ont perçu le mal comme quelque chose dont l'Être suprême lui-même serait affecté, permettant ainsi à l'homme de se déculpabiliser quelque peu, en reportant une part de la responsabilité sur son créateur. On n'est pas loin, ici, de la fameuse circonstance atténuante d'hérédité défavorisante qui prévaut dans les tribunaux d'aujourd'hui: « c'est la faute à la société qui m'a façonné tel que je suis, à son image donc, faillible et bancale ». Même raisonnement pour Dieu. Sauf que dans ce cas, on est victime d'une illusion d'optique en forme de contresens: car c'est plutôt Dieu que l'on cherche ici à faire à la ressemblance de l'homme, tout en prétendant l'inverse. Et voilà la créature réinventant son créateur, en l'imaginant tout aussi cruel et tordu qu'elle, comme pour mieux légitimer ses travers et se disculper sur le dos du Bouc émissaire universel. C'est ce que voulait nous faire comprendre, en son temps, Jean-Jacques Rousseau, par la bouche de Julie d'Étanges, personnage central de son roman intitulé La nouvelle Héloïse: “Le Dieu vengeur est le Dieu des méchants. (...) Le Dieu que je sers est un Dieu clément, un père; ce qui me touche, c'est sa bonté. (...) Ô Dieu de paix, Dieu de bonté, c'est toi que j'adore.”(1) Le message est clair, ici: Celui qui refuse de se représenter le Tout-puissant comme intégralement bon, celui-là prouve par là même sa propre nature corrompue, puisqu'il est incapable d'imaginer (ou de tolérer) l'existence d'une Personnalité autre que la sienne. Le corollaire, bien évidemment, c'est que les êtres épris de bienveillance sont disposés à accepter la révélation d'un Être suprême prenant la forme d'un Père qui pousse la mansuétude à la perfection. Car il s'agit bien d'une révélation, que l'on trouve sans équivoque dans la Bible: “Dieu est lumière, et il n'y a point en lui de ténèbres”, lisons-nous dans la 1ère épître de Jean (chap.1, v.5). Le Christ le disait de manière plus catégorique: “Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul” (Évangile de Marc, chap.10, v.18). Autrement dit: ce qui définit le Tout-puissant par opposition à l'homme, c'est que le premier est moralement parfait. Conséquence immédiate: “Ses yeux sont trop purs pour voir le mal” (livre du prophète Habakuk, chap.1, v.13); ce qui ne veut bien sûr pas dire que Dieu se voilerait pudiquement la face devant les horreurs de ce bas monde, mais plutôt qu'il ne peut pas en supporter la proximité, ainsi que le fait mieux comprendre le verset suivant: “Car tu n'es pas un Dieu qui prenne plaisir à la méchanceté: le mal ne séjourne pas auprès de toi.” (Psaume 5, v.5). Cette formulation témoigne d'une séparation radicale et inexorable; une séparation au niveau des mœurs, entre le Créateur immaculé et sa création qui ne l'est plus; une séparation que la Bible appelle... la sainteté. Un Dieu injuste ? Si Dieu ne tolère pas le mal en théorie, il en découle logiquement qu'il ne peut que le sanctionner en pratique. C'est pourquoi le théologien Myer Pearlman disait que la justice de Dieu n'était pas autre chose que sa sainteté en action. (2) Ainsi, la bonté intrinsèque du Tout-puissant ne peut que le conduire à agir pour réprimer le mal, ce que nous voyons faire dans maints passages de la Bible, qu'il s'agisse de la destruction de Sodome et Gomorrhe, des plaies d'Egypte envoyées contre le tyrannique et esclavagiste pharaon, de la déportation des Israélites pervertis à Babylone, etc... On est ici très loin du Dieu-faiblesse, du “Bon Dieu”, comme on dit, synonyme de vieillard sénile et permissif dont le folklore nous a transmis l'image d'Épinal. “Oui, il y a un Dieu qui exerce le jugement sur la terre”, proclame haut et fort le psaume 58 (v.12). « Allons donc ! Quelle sinistre fable !», s'exclameront en chœur tous les blessés de la vie, indignés par les innombrables injustices qui ont cours ici-bas, quotidiennement. « S'il y avait une justice dans ce monde, ça se saurait depuis belle lurette. On nous raconte que Dieu est bon; il serait même plutôt “bonasse”, au vu du laxisme avec lequel il laisse faire tant de crimes au quotidien ! » Ce genre de réaction fait écho au constat désabusé qu'avait dressé le roi Salomon vers la fin de sa vie, lorsqu'il maugréait: “Il y a des justes dont le sort est conforme à l'œuvre des méchants, et des méchants dont le sort est conforme à l'œuvre des justes” (Livre de l'Ecclésiaste, chap.8, v.14). La Bible elle-même reconnaît donc que, malgré les jugements divins déjà évoqués, l'iniquité reste vivace, aujourd'hui comme hier, ici comme ailleurs, et que les exactions et méchancetés humaines n'auront pas toutes été jugées ni mêmes dévoilées sur cette terre. La question devient donc: Dieu, malgré son aversion radicale pour le mal, aurait-il vis-à-vis de ce fléau une certaine tolérance ? La réponse est oui, mais il faut tout de suite préciser dans quelle perspective elle s'exerce: “Le Seigneur use de patience envers nous, car il ne veut pas qu'aucun périsse, mais que tous arrivent à la repentance”, expliquait l'apôtre Pierre dans sa 2ème épître (chap.3, v.9). Comprenons par là que l'indulgence divine n'a cours que dans la mesure où elle vise un changement d'état d'esprit de la part des hommes, ce qui implique de leur donner des chances de revenir de leurs voies iniques. Ceci n'est donc pas incompatible avec la bonté de Dieu: c'en est même la plus belle preuve. Ainsi, la tolérance du Tout-puissant en regard de la malveillance humaine constitue en définitive une bonne nouvelle, et cela pour n'importe quel individu encore en vie sur cette planète. Du reste, ceux qui préféreraient voir la méchanceté anéantie du jour au lendemain feraient bien de s'en réjouir aussi, s'ils étaient conscients de ce qu'une telle extermination impliquerait, non seulement pour l'humanité en général, mais encore pour eux-mêmes en particulier: Car si leur souhait était exaucé, ne risqueraient-ils pas d'être aux premières loges d'un tel tribunal, à la place de l'accusé plutôt qu'à celle du jury ? Parce qu'en fin de compte, qui peut se prétendre libre de tout mal ? Qui est-il donc, celui-là qui n'a pas enterré tout au fond de lui des choses inavouables, des actes du passé qu'il lui serait insupportable de voir exhumés, au vu et au su de tous ? Or, il faut avoir à l'esprit qu'avec le tribunal de Dieu, cela risque fort d'être bien pire encore: “Il n'y a rien de caché qui ne doive être révélé, ni de secret qui ne doive être connu”, avertissait Jésus, en précisant même que tout ce qui aura été “dit dans les ténèbres sera entendu en plein jour” (Évangile de Luc, chap.12, v.2-3). Perspective pour le moins désagréable... Ceci nous enjoint donc plus à apprécier la patience de Dieu envers nous, dont Jésus lui-même nous donne toute la mesure au travers d'une métaphore riche en signification, rapportée dans l'Évangile de Matthieu (chapitre 13, v.24-30): C'est l'histoire d'un exploitant agricole qui a semé du blé dans sa propriété. Hélas, son pire ennemi vient jeter de la mauvaise graine parmi la bonne, ce dont s'aperçoivent les serviteurs du premier, une fois les pousses sorties de terre. Ceux-ci, ne comprenant pas comment de l'ivraie a pu pousser dans le champ d'un maître si prévenant, proposent alors à celui-ci d'arracher dès à présent l'herbe parasite; ce que refuse leur employeur, expliquant à ses ouvriers qu'une telle action aurait pour effet pervers de déraciner en même temps le blé, ne serait-ce qu'à cause de la faculté de l'ivraie à s'enrouler autour des épis. Dès lors, plus qu'une chose à faire: laisser croître la mauvaise semence en même temps que la bonne, et cela jusqu'à l'époque de la moisson où l'on coupera le tout, après quoi il ne restera plus qu'à séparer la première de la seconde. La signification de cette parabole est également fournie par le Christ, quelques versets plus loin (v.36-43): Le bon grain représente les amis de Dieu, tous ceux qui témoignent de Sa bonté sur la terre, au travers notamment de leur amour pour leur prochain; et la mauvaise herbe symbolise les individus qui auront laissé le mal dominer en eux, ne serait-ce qu'en choisissant de rejeter Celui qui est le principe ultime du bien. Or, il se trouve que les deux races d'individus vivent dans la même société, dans les mêmes familles. Ainsi, comment serait-il possible d'anéantir les coupables dès ici-bas, sans risquer d'en affecter les innocents, lorsqu'on sait que ces derniers sont la plupart du temps des parents proches, des employés et des concitoyens des premiers, dépendants de ceux-ci, affectivement ou matériellement. Dieu en a bien conscience, qui retient Sa main plus que certains ne le voudraient. C'est pourquoi le mieux pour nous serait plutôt de cesser de vouloir continuellement que s'abattent les foudres divines sur le monde en général et sur notre prochain en particulier, et de réaliser que “la patience de notre Seigneur est notre salut” (2ème épître de Pierre, chap.3, v.15). Néanmoins, ne nous y trompons pas: À la fin de l'histoire, l'herbe parasite sera entassée puis brûlée par les serviteurs, tandis que le blé récolté est destiné à remplir les greniers de leur maître. Un dénouement à peine crypté, dont Jésus donnera l'interprétation suivante: “Or, comme on arrache l'ivraie pour la jeter au feu, il en sera de même à la fin du monde. Le Fils de l'homme enverra ses anges, qui arracheront de Son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité (...) Alors, les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père” (Évangile de Matthieu, chap.13, v.40-43). Oui, il y aura bien une justice intégrale. Peut-être pas encore dans cet univers corrompu dans lequel nous vivons aujourd'hui, mais assurément dans celui où nous existerons véritablement, celui où l'apôtre Paul précise que Dieu rendra rigoureusement “à chacun selon ses œuvres”(épître de Paul aux Romains, chap.2, v.6): celui du Royaume des Cieux. Un Dieu impuissant ? Plutôt que la bonté et la justice de Dieu, certains se sont essayés à remettre en cause sa toute-puissance. Dans le genre, nous trouvons le théologien américain Whitehead, lequel ne pouvait admettre l'idée qu'un Être suprême puisse autant laisser s'exprimer le mal et ses colporteurs, s'il avait vraiment la capacité de les en empêcher. D'où la conception d'un Dieu relativement impuissant, régulièrement dépassé par les progrès de l'iniquité. Un point de vue partagé en France par Wilfried Monod qui, refusant de croire en un être à la fois tout-puissant et tout-bon, proposa de renoncer à la notion d'omnipotence pour sauvegarder celle de bienveillance divine. Sous-entendu: à défaut d'être le Tout-puissant, qu'il soit au moins le Bon Dieu ! Première critique: On raisonne ici comme si l'homme n'avait aucune liberté ni responsabilité dans l'affaire. Imaginons un instant un créateur qui obligerait sa création à agir conformément à son bon plaisir : Pourrait-on encore considérer les humains comme des êtres capables d'une réflexion autonome et d'une volonté propre ? Loin d'une conception aussi tyrannique du divin, la Bible nous présente l'homme comme étant doué d'un libre-arbitre; partiel certes, mais bien réel, ce qui explique que celui-ci puisse, dans sa folie, accomplir “ce qui n'était pas venu à la pensée de Dieu”, pour reprendre une expression du prophète Jérémie (Livre de Jérémie, chap. 19, v.5). Et si les humains “se sont corrompus, ce n'est pas lui, mais eux, qui sont à blâmer” (Deutéronome, chap.32, v.5). Dieu ne saurait donc être tenu responsable de la manifestation du mal, exactement comme un constructeur automobile ne pourrait se voir reprocher les dégâts causés par un de ses modèles si celui-ci était utilisé par des malfaiteurs comme voiture-bélier pour défoncer les devantures des bijouteries. Citons à nouveau Rousseau: “Tout est bien, sortant de l'Auteur des choses, mais tout dégénère entre les mains de l'homme...”. Myer Pearlman le disait à sa façon: “Retranchez de la souffrance du monde tout ce qui est dû au péché volontaire de l'homme, et il n'en restera pas beaucoup”(2). Il serait toutefois prématuré d'en conclure que la toute-puissance de Dieu s'arrêterait là où la liberté de l'homme commence. Certes, la seconde vérité semble contredire la première, mais il ne faut point s'arrêter à l'apparence: la Bible, dans sa sagesse transcendante, parvient toujours à concilier l'inconciliable, et à nous projeter au-delà des faux paradoxes. C'est ainsi que, malgré l'inaliénable réalité du libre-arbitre humain, le Dieu de la Bible conserve tous les pouvoirs: celui de révéler en pleine lumière Son amour infini aux hommes qui sont disposés à le recevoir, certes; mais aussi celui de laisser ceux qui ne veulent pas en entendre parler se perdre eux-mêmes. À ces derniers qui, selon la formule de l'apôtre Paul, ne veulent pas recevoir “l'amour de la vérité pour être sauvés, Dieu envoie une puissance d'égarement, pour qu'ils croient au mensonge” (2ème épître de paul aux Thessaloniciens, chap.2, v.10-12)...exactement comme un même soleil fait croître parallèlement le bon grain et l'ivraie grâce à la lumière et la chaleur qu'il leur dispense (pour reprendre l'image déjà évoquée). La comparaison s'arrête là, néanmoins, car si la mauvaise herbe n'est pas responsable de son code génétique, l'homme qui choisit le mal est pleinement fautif, car il se sert de la puissance même du Créateur pour l'outrager. Cela signifie que le premier ne pourrait même pas s'opposer au second si celui-ci ne lui en avait pas donné le pouvoir, un peu comme un metteur en scène laisse la possibilité à de simples acteurs de jouer les méchants tout en leur en donnant les moyens, car il sait déjà que même si ces comédiens improvisent, ils demeureront conformes à un scénario prédéfini qui précipitera leur chute à la fin du film. On le voit donc bien: Il n'y a point dans la Bible de manichéisme, point de rapport de forces équilibré entre le bien et le mal. Il n'y a qu'un Dieu omnipotent qui suscite toutes choses. “Notre Dieu est au Ciel, il fait tout ce qu'il veut”, proclamera l'auteur du psaume 115 (v.3). Quant aux “rois de la terre qui se dressent, aux princes qui se liguent ensemble contre l'Eternel et contre son messie, (...), Celui qui siège dans les Cieux en rit et se moque d'eux.” (Psaume 2: 2; 4). Et tout cela nous amène finalement à une vérité fondamentale: Bien loin de subir le mal, ou de ne faire que l'annihiler stérilement, le Tout-puissant s'en sert pour le changer en bien. La Bible fourmille d'épisodes où “tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu”, pour reprendre la célèbre expression de St Paul (épître aux Romains, chap.8, v.28): c'est par exemple Job qui, au terme d'une série d'épreuves où il perd tout, fait une rencontre personnelle avec Dieu et regagne au double de ce dont il a été spolié; ce sont les persécuteurs du prophète Daniel qui, en le faisant jeter aux lions, vont paradoxalement contribuer à inspirer le respect du Dieu vivant à tout l'empire Perse; ce sont les chefs religieux juifs qui, en persécutant les premiers chrétiens et en les précipitant hors de Jérusalem, vont, sans le vouloir, donner le coup d'envoi à la propagation mondiale de l'Évangile; etc, etc... On n'en finirait pas de répertorier toutes les circonstances désastreuses que Dieu a retourné à son avantage. “L'Ennemi fait une oeuvre qui le trompe”, proclame la Bible dans son intégralité. Et aujourd'hui encore, des millions de chrétiens font l'expérience d'un courage, d'une endurance, d'une abnégation, et d'une victoire suprême dans leur vie qu'ils n'auraient pu obtenir sans d'abord passer par un chemin de souffrance. Je ne citerai qu'un seul cas: celui d'Helen Keller, la célèbre infirme, aveugle et sourde de naissance, mais qui pouvait dire, au terme d'une extraordinaire transformation de l'âme: “Je remercie Dieu pour mon infirmité, car c'est au travers d'elle que j'ai trouvé mon Dieu, mon travail et moi-même...”Ce n'est pas un cas isolé, loin s'en faut. Ainsi, à l'image d'un diamant placé par le joaillier sur du velours sombre pour mieux en faire contraster l'éclat, le mal et les ténèbres, qui constituent l'arrière-plan du triste tableau de ce monde, ne servent qu'à mieux encore faire éclater la grâce et l'omnipotence divine. Car si vraiment, malgré le cortège d'abominations qui s'y déroulent chaque jour, il existe des gens pour témoigner victorieusement et joyeusement de l'amour de Dieu, faut-il donc qu'il existe, et qu'il soit puissant de surcroît, pour susciter une chose aussi improbable ! La puissance dans la faiblesse On ne saurait clore cette question si sensible sans faire référence au cas par excellence du mal changé en bien, du désespoir mué en espérance, à savoir celui de la croix; cette même croix ou fut cloué un homme qui avait pourtant passé toute sa vie à guérir ses semblables, à les consoler, et à leur redonner leur dignité. S'il y eut au monde quelqu'un à qui l'on a rendu le mal pour le bien, c'était lui. Encore un exemple de l'indifférence divine pour la souffrance humaine ? Ce serait un contresens de le penser: car cet homme, nous révèle la Bible, c'était Dieu lui-même, rien moins... Dieu descendu de Son ciel pour venir s'identifier à nous, s'incarner dans un corps de chair comme nous, s'immerger dans les mêmes malheurs et les mêmes deuils que nous, vivre les mêmes galères que nous. Il n'a pas fait semblant, comme le font aujourd'hui certains touristes nantis en mal de sensation, qui poussent l'imposture et l'indignité jusqu'à choisir des formules de vacances consistant à vivre une ou deux semaines comme des SDF... dans le seul but de “ressentir l'effet que cela fait” d'être démuni de tout (et ils payent pour cela!). Non. Le Christ, lui, est né comme un pauvre bougre, dans une étable. Pour lui, point de cuillère d'argent dans la bouche. Il a fait un dur métier de manuel pendant trente ans, suant pour gagner son pain. Puis, durant les trois ans et demi qui ont suivi, il a connu une véritable existence de vagabond, le rejet de la part des notables, et l'exclusion hors de la société. Enfin, au cours des dernières heures de sa vie, il a subi la méchanceté des hommes, la trahison et l'abandon par ses meilleurs amis, l'emprisonnement et la torture à partir de fausses accusations, le désespoir de pouvoir se sauver, le tout soldé par une mort atroce et infamante. Ce que la Bible enseigne, c'est que Dieu, loin d'être l'auteur du mal, en a été, par sa propre volonté, la plus douloureuse victime. Elle ne nous dépeint pas une divinité tyrannique qui se plairait à faire ramper les hommes devant elle; mais au contraire un Dieu qui se traîne devant une foule haineuse, ployant sous le fardeau d'une croix si lourde; un Dieu qui se laisse transformer en bouc émissaire de l'humanité, par Passion pour elle... Combien Nietzsche avait vu juste lorsqu'il écrivait: “Dieu a aussi son enfer: c'est Son amour pour les hommes !” Il y a là un mystère qui nous dépasse, une différence décisive d'avec toutes les autres religions, où l'on voit invariablement les fidèles tenter de s'élever au niveau du divin pour espérer décrocher un peu de son pouvoir, dans le but de résoudre leurs problèmes. Au contraire, dans l'Évangile, le Tout-puissant prend lui-même l'initiative de s'abaisser vers l'homme pour communier avec lui dans sa douleur, afin que s'opère le prodigieux partage où le second abandonne sur le premier son fardeau insupportable de blessures intérieures et de maladies, et où le premier transmet au second Son abondance de vie et Sa guérison de l'âme et du corps. Comme l'a remarqué D.Bonhoeffer, “le fait qu'il ait « pris sur lui nos infirmités » et qu'il « se soit chargé de nos maladies » indique clairement que le Christ ne nous aide pas par sa toute-puissance, mais par sa faiblesse et ses souffrances. La religiosité de l'homme le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu dans le monde; la Bible le renvoie à la souffrance et à la faiblesse de Dieu.” Et Bonhoeffer de conclure: “Seul le Dieu souffrant peut aider”(3). Nous atteignons là au paradoxe suprême : La Toute-Puissance de Dieu s'est manifestée par sa faiblesse, par sa non-résistance. La croix n'est un échec et un constat d'impuissance que pour ceux qui n'en perçoivent pas la face cachée, le dessein profond: Comme le prédisait le Christ en évoquant sa propre mort, “Il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup” (Évangile de Marc, chap.8, v.31). Sous-entendu: cela faisait partie d'un plan, celui du salut pour l'humanité. En effet, il faut bien comprendre que ce fut à la croix que Jésus, l'Homme-Dieu, attaqua le mal à la racine. Ce fut là qu'il attira sur lui, de manière intemporelle, le jugement des fautes de tous ceux qui, au cours des siècles, auront cru en lui. Une action comparable à celle obtenue par un cataplasme d'argile humide appliqué sur une plaie purulente: en séchant, il absorbe toutes les saletés qui infectaient la blessure. Il ne reste plus ensuite qu'à faire s'effriter l'argile, découvrant ainsi la chair nettoyée et propre à cicatriser. Ainsi du Christ à la croix, baume d'amour appliqué sur l'humanité souillée et douloureuse; accablé jusqu'à la destruction par ce torrent d'immondices qui s'est déversé sur lui: “Ma force se dessèche comme l'argile (...); tu me réduis à la poussière de la mort”, lisons-nous dans le Psaume 22 (v.16), bien connu pour exprimer ce que devait ressentir le messie souffrant. Lui en qui le mal n'existait pas, il l'a pris sur lui, afin qu'il ne soit plus sur nous, nous tous en qui il abonde. À ceux donc qui veulent mettre sur le dos de Dieu toute la responsabilité du mal, il faut simplement répondre que c'est déjà fait ! Mais que cela, loin de remettre en cause l'existence du Tout-puissant, a plutôt conduit à en révéler le caractère éternel et inaltérable, puisque, trois jours après sa mort, Christ est ressuscité, bien vivant de cette nouvelle vie qu'il communique depuis deux mille ans à tous ses amis. Même la mort n'a pu le retenir; elle a été “engloutie dans la victoire” (1 Co 15: 54). Aujourd'hui encore, il libère ceux qui croient en lui de leur culpabilité, de leur haine et de leurs craintes, de leurs maladies physiques et de leurs traumatismes psychiques. Il les transforme ainsi en êtres sains et libres d'aimer, fortifiés par l'espérance du Jour de l'Éternel, celui où viendra le règne inexorable et intégral du Dieu vivant, où “il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les choses anciennes auront disparu” (livre de l'Apocalypse, chap.21, v.4). Jean-Paul Debanne (1): Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, 6ème partie, lettre VIII, 1761. (2): M.Pearlman, Aux sources de la vérité biblique, Vida, 1981. (3): D.Bonhoeffer, Résistance et Soumission, Lettres et notes de captivité, 1963.





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